A partir d’une programmation axée sur l’œuvre documentaire de deux cinéastes majeurs, Jean-Luc Godard et Wang Bing, L’ECLAT propose deux manières de penser et comprendre l’histoire contemporaine à travers l’expression cinématographique, et ce paradoxalement autour d’œuvres vidéo.
Sur ce thème, L’ECLAT accueillera une programmation des Instants Vidéo, structure installée à Marseille s’intéressant aux nouvelles formes d’écritures dans les domaines de l’art vidéo, des installations multimédias, des documentaires de créations…
La manifestation se déroulera en deux temps.
Autour de Godard
L’écrivain et essayiste Guy Scarpetta introduira à l’œuvre documentaire de Jean-Luc Godard, l’un des rares cinéastes à avoir utilisé la dialectique des images comme méthode pour penser l’histoire et le cinéma. Une grande partie de ses films réalisés en vidéo restent encore peu diffusés, ce sera l’occasion d’en mesurer l’importance.
Autour de Wang BiNG
Patrick Leboutte présentera l’œuvre de Wang Bing dont le premier film réalisé en DV, A l’ouest des rails, témoignage sans concession de la vie des ouvriers d’un quartier appelé à disparaître, figure déjà parmi les grandes œuvres du 21ème siècle. La découverte d’autres films du cinéaste......
L'ECLAT propose deux manières de penser et comprendre l'histoire contemporaine à travers l'expression cinématographique. Avec Godard, l'un des rares cinéastes à avoir pratiqué la dialectique des images comme méthode pour penser l'histoire et le cinéma. Avec Wang Bing, dont le premier film, A l'ouest des rails, figure déjà parmi les grandes oeuvres du 21 ème siècle. Avec une "carte blanche" des Instants Vidéos Nomades et poétiques, structure s'intéressant aux nouvelles formes d'écriture dans les domaines de l'art vidéo.
L'EDITO de Guy Scarpetta
Pour Godard depuis toujours, le cinéma n'a de sens qu'à faire voir ce qui ne pourrait être vu sans lui. L'auteur d'Histoire(s) du cinéma ne cesse d'y revenir : le cinéma a une histoire (nul n'est cinéaste s'il ne se situe par rapport à elle) ; le cinéma appartient à l'histoire ; le cinéma intervient sur l'histoire. Son rôle ? Nous faire accéder au non-dit ou à l'impensé des représentations collectives convenues, des grands récits édifiants. Il y a chez Godard, en somme, à toutes les périodes de son œuvre, un pari obstiné sur la capacité du cinéma à produire un effet de vérité singulier - aux antipodes d'un cinéma qui se contenterait d'illustrer des "vérités" historiques pré-établies, conçues sans lui.
D'où ces films où il est question du Vietnam, de la Palestine, de la Bosnie, ou de l'effervescence militante qui précéda Mai 68 ; de la guerre, des camps d'extermination, mais aussi des révoltes, des insoumissions, des résistances ; et de ce qui relie obscurément, parfois contradictoirement nos histoires individuelles à l'histoire collective.
Si la vérité d'ordre historique peut en surgir, c'est bien évidemment pr le rapprochement et le choc des images, par l'interaction des images et des sons. En ce sens, le cinéma de Godard est fondamentalement une expérience, où l'on ne sait pas d'avance ce qu'on va découvrir.
La meilleure riposte, sans doute, à cette polémique récente où certains tentèrent d'imposer l'idée selon laquelle il y aurait dans l'histoire des zones sacrées, interdites, irreprésentables. Avec le cinéma de Godard, une autre histoire peut commencer à apparaitre - qui n'est pas celle des historiens. G.S
L'EDITO DE PATRICK LEBOUTTE
A Shenyang, dans le district de Tie Xi, il n’aura pas fallu deux ans pour faire disparaître tout un monde. En décembre 1999, il s’agissait d’un complexe sidérurgique aux dimensions monumentales de la Chine, une gigantesque fourmilière gorgée d’un million d’ouvriers. En avril 2001, ce n’était plus qu’un terrain vague, un immense no man’s land arasé. De cette étendue populaire fondée vers 1930 pour et par l’industrie, de ses architectures, de ses habitants, de leur culture, de leurs quartiers, ne reste plus aujourd’hui qu’un long film conçu comme un triptyque, À l’Ouest des rails de Wang Bing, unique dépositaire des traces de cette vidange et de cette évaporation de masses. En son début, enfumant les plans : une multitude, une classe sociale. A l’arrivée : plus rien, plus personne, seuls un vieillard usé et son fils apeuré, une famille monoparentale nous claquant la porte au nez comme on referme un caveau, avant que le générique de fin ne fasse office de pierre tombale.
Voir intégralement À l’Ouest des rails requiert neuf heures de projection au cours desquelles Shenyang progressivement dévasté s’évide et se dépeuple inexorablement, en notre présence impuissante devant l’écran. Aux spectateurs de ce film, il faut bien cette longueur inusitée pour prendre physiquement la mesure d’une telle vitesse d’exécution, pour éprouver de l’intérieur d’une salle la rapidité d’une telle dissolution. Jamais encore au cinéma je n’avais vécu semblable expérience de la durée comme tentative de rendre compte d’une subite accélération de l’Histoire. De quoi s’agit-il exactement ? De constater la perte, d’enregistrer ce qui fuit, de reconnaître ce qui se défait tant plus le film avance et plus le monde vient à manquer, littéralement aspiré, comme siphonné. En ce sens, À l’Ouest des rails agit comme une bombe à fragmentation.
Un processus est à l’œuvre et Wang Bing en traduit la vitesse de destruction. Ainsi dès Rouille, titre du premier chapitre, segmente-t-il l’espace du territoire qu’il quadrille. S’il nomme chaque lieu rigoureusement, inventorie, identifie, localise avec minutie telle fonderie, puis telle usine de cuivre, datant chaque séquence avec la même exactitude, ce geste là n’est pas un simple relevé, porté par l’exigence de l’objectivité.
Sa précision documentaire produit au contraire du récit, l’emballant comme on souffle sur les braises ; elle désigne avant tout la contagion, la contamination, ce qui souterrainement prolifère à toute allure, car ce que l’on découvre sur chaque nouveau site industriel reste toujours ce que les précédents avaient permis de vérifier : que quelque chose gagne du terrain et n’en finit pas de s’étendre, de l’ordre du tarissement d’un monde, soumettant le film comme la région au règne de l’irréversible. Semblablement, en divisant À l’Ouest des rails en trois parties tout en y rétrécissant un peu plus à chaque fois l’espace vital – la zone industrielle dans Rouille, un village prolétarien dans Vestiges, une poignée de survivants hagards dans Rails - y reproduisant strictement la même chronologie (le même passage à l’an 2000, le même nouvel an chinois), Wang Bing ne répète pas seulement les mêmes motifs, il amplifie plutôt ce qui se trame, les mêmes causes dévoilant ailleurs les mêmes effets. En tout lieu comme en chaque plan coule effectivement le même acide, disant le même travail de sape, oeuvrant à la même érosion.
P.L
Au programme
Jean-Luc Godard :
La chinoise (1967),
Les carabiniers (1953),
Ici et ailleurs (1976),
The Old Place (1998),
Eloge de l’amour (2001),
Notre musique (2003),
Histoire(s) du cinéma (2000), Film socialisme (2010).
Wang Bing :
A l’ouest des rails (2003),
Fengming, chronique d’une femme chinoise (2007),
L’homme sans nom (2009)
Commenti