ÉDITO : Philippe Azoury
Ce que l’on sait, ce que l’on croit savoir, aujourd’hui des cinémas arabes pourrait tenir en une liste de mots clés qui s’entrechoquent, quand ils ne vont pas jusqu’à se contredire : Paysage vs. Pensée, Peuple + Colère, Sommeil vs. Fantômes, Guerre(s) et Dépôt. D’un coté les corps (meurtris, tétanisés, guerriers, hystériques), de l’autre l’imposition à imaginer ce qui n’est pas là, ou à régler ce qui ne l’est pas (encore). Ces mots sont tous liés à l’histoire. Ces mots sont tous liés à la géographie. On a bien souvent rangés les films arabes (question embarrassante : le cinéma arabe existe-t-il, en dehors d’une appellation contrôlée propre à faciliter les programmations – celle-là, par exemple) sous la double bannière écrasante (cinématographiquement parlant) du Témoignage et de la Mémoire.
Quand, pour mieux y échapper, certains cinéastes (paranoïaques, forcément paranoïaques: par rapport à ces pièges, par rapport à ce que les uns et les autres – à l’intérieur, à l’extérieur-, attendent de leurs films avant même que ceux là réussissent à exister) ont su faire avancer leurs films à travers des interstices bien plus fins, bien moins palpables. Souvent en jouant à coups de déplacements et de réinventions, le jeu de la connaissance et du souvenir, mais en cassant cette métrique à coups d’invention (y compris jusqu’au sens délirant du terme), ou ne s’intéressant à la mémoire que du coté de ses lacunes.
Ce à quoi on a assisté devant les films du palestinien Elia Suleiman ou des libanais Khalil Joreige et Joana Hadjithomas, c’est précisément à la mise en joug des attentes et à la mise en jeu des thématiques devenues trop évidentes. On a assisté au pouvoir du cinéma, de faire et défaire ce manque d’imagination qu’imposent les situations politiques quand elles sont graves.
Un écrivain français goncourtisé nous a récemment rappelé qu’un territoire (aimé, rêvé, revendiqué) inclut forcément une carte. Les films présentés lors de ce cycle nous disent à leur tour que s’il y a carte, il y a forcément déplacement, réinvention. Que s’il y a des frontières, il y a forcément du jeu.
Les frontières (entre les territoires, entre les genres) sont là aussi pour être franchies. Peut-on passer plusieurs frontières à la fois et en même temps ? A eux de nous le dire.
* Critique de cinéma à Libération depuis 1998, Philippe Azoury collabore aussi aux Inrockuptibles et aux Cahiers du cinéma. Il a écrit plusieurs livres de cinéma : Fantômas, Jean Cocteau et le cinéma et à l’occasion de la rétrospective au Centre Pompidou, un livre sur Werner Schroter. Il est aujourd'hui reporter pour le Nouvel Observateur.
AÏDA SAUVE-MOI
Lecture-performance de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige
Mardi 3 avril 2012 à 18h
Confrontation du visible et de l’invisible, des faits et du récit, de la logique et du hasard, la performance interroge les processus à l’œuvre dans toute construction en images d’un réel qui se dérobe. Au moment de la sortie au Liban de leur film A Perfect day, les cinéastes découvrent que leur fiction a pris des allures de documents.
PROGRAMME DE COURTS MÉTRAGES
Mardi 3 avril 2012 à 20h30
En présence des cinéastes, rencontre animée par Philippe Azoury
Le Film perdu / Le film al Mafkoud de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (Liban/France, 2003, 42 min, vostf)
« La copie de notre premier long métrage Autour de la maison rose a disparu au Yémen, le jour du dixième anniversaire de la réunification du Sud et du Nord du pays. Un an après, nous partons sur les traces du film perdu. Une enquête entre Sana’a et Aden, une recherche personnelle autour de l’image et de notre statut de cinéastes dans cette partie du monde. » Khalil Joreige, Joana Hadjithomas
Cendres / Ramad de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (Liban/France, 2003, 26 min, vostf)
Nabil revient à Beyrouth après le décès de son père, mort et incinéré en France, pour accomplir sa dernière volonté : disperser ses cendres dans la mer, à côté du grand rocher de la Raouché. Il se heurte alors au refus de sa famille, qui tient à enterrer, selon les rites et les coutumes, un corps qui n’existe plus…
KHIAM 2000-2007
de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (Liban, 2007, 1h44, vostf)
Mercredi 4 avril 2012 à 20h30
En présence des cinéastes, rencontre animée par Philippe Azoury
Créée en 1985, dans la zone de sécurité occupée par Israël depuis 1978 et administrée par sa milice supplétive, l’Armée du Liban-Sud, Khiam était un lieu de non-droit, où régnaient l’arbitraire, la torture, l’humiliation et la privation. Sonia, Afif, Soha, Rajaé, Kifah, Neeman qui ont passé dix ans dans cet enfer. Ils témoignent de la vie quotidienne au camp et disent comment ils ont pu trouver la force d’exister dans cet univers concentrationnaire.
« Libéré en mai 2000, le camp est transformé en musée, puis, lors de la guerre de Juillet 2006, entièrement détruit sous les bombardements. Il est envisagé aujourd’hui de le reconstruire à l’identique. Huit ans après le premier tournage, les cinéastes retrouvent les six détenus. Ils évoquent cette fois avec eux la libération, puis la destruction du camp, et enfin sa reconstitution. La mémoire, l’Histoire, la commémoration et le pouvoir de l’image, tels sont les clefs de ce film en deux volets. » Jean-Pierre Rehm
Prix Georges de Beauregard du Festival International du Documentaire de Marseille 2008
PROGRAMME EN ÉCHO
Jeudi 5 avril 2012 à 18h
Programme préparé et présenté par Philippe Azoury
La Rose de personne de Ghassan Salhab (Liban, 2000, 12’)
Le film parcourt à Beyrouth une rue chargée d’histoire, de fiction, mais aussi une rue comme toutes les autres en prise avec le réel. Une automobile dans laquelle un homme et une femme hors-cadre dialoguent à travers les bruits de la rue.
(Posthume) de Ghassan Salhab (Liban, 2007, 28’)
Réalisé quelques temps après l’agression Israélienne de l’été 2006, un essai doublement hanté par l’absence présente de toute fiction et l’omniprésence du réel.
Le candidat d’Akram Zaatari (Liban, 1995, 10’)
« C’est une critique sur la promotion des politiciens à la télévision. Un candidat se présentant à la présidence parle de son programme dans un discours général et léger sur des problèmes tels que la résistance et l’éducation. » Heure exquise
Lebanon/war de Rania Stephan (Liban, 2006, 47’)
« Tourné en juillet et août 2006, ce film est une succession de scènes de rue et de portraits montrant les habitants de Beyrouth qui tentent de vivre malgré les bombardements… L’urgence du tournage et ses conditions de réalisation dessinent les contours d’un pays en guerre. » Festival Paris Cinéma
A PERFECT DAY
de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (Liban/France/Allemagne, 2006, 1h26, vostf)
Jeudi 5 avril 2012 à 20h
Presenté par Philippe Azoury
Vingt-quatre heures dans la vie de Malek, jeune Beyrouthin victime du syndrome de l’apnée du sommeil. Ce jour-là, il convainc sa mère, avec qui il vit, de se rendre chez un avocat pour déclarer officiellement la mort de son père, disparu quinze ans plus tôt et décide aussi de partir à la recherche de Zeina, la femme qu’il aime mais qui refuse de le revoir. Et si aujourd’hui était « le jour parfait » pour échapper à ses fantômes et retrouver ceux que l’on a perdus ?
« Multi primé, A Perfect Day s’inspire d’une histoire vraie : l’oncle de Khalil Joreige fait partie des dix-sept mille personnes qui ont disparu à Beyrouth durant la guerre. Il décrit l’attente du retour, la difficulté pour la famille à déclarer la mort et à commencer un deuil sans corps. Mais c’est Beyrouth qui est avant tout au cœur du sujet. On découvre une ville en effervescence, marquée par la guerre et à l’avenir incertain. Les auteurs définissent A Perfect Day comme « un film politique qui tente de battre en brèche les représentations dominantes autour du monde arabe », qui parle du présent et des tentatives de vivre là-bas et maintenant. » Festival Paris Cinéma
JE VEUX VOIR
de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (France/Liban, 2008, 1h15, vostf)
Jeudi 5 avril 2012 à 21h30
Présenté par Philippe Azoury
« Juillet 2006. Une guerre éclate au Liban. Une nouvelle guerre mais pas une de plus, une guerre qui vient briser les espoirs de paix et l’élan de notre génération. Nous ne savons plus quoi écrire, quelles histoires raconter, quelles images montrer. Nous nous demandons : « Que peut le cinéma ? ».
Cette question, nous décidons de la poser vraiment. Nous partons à Beyrouth avec une « icône », une comédienne qui représente pour nous le cinéma, Catherine Deneuve. Elle va rencontrer notre acteur fétiche, Rabih Mroué. Ensemble, ils parcourent les régions touchées par le conflit.
A travers leurs présences, leur rencontre, nous espérons retrouver une beauté que nos yeux ne parviennent plus à voir.
Une aventure imprévisible, inattendue commence alors… » Khalil Joreige, Joana Hadjithomas
« […] Le film aura rendu perceptibles la véritable singularité et la véritable puissance du « voir » cinématographique : pas un savoir ni une maîtrise esthétique, mais un agencement des regards, l’organisation sensible d’une assemblée de regardeurs, dont aucun ne peut être à la place de l’autre, et dont aucun, seul, ne pourrait voir, ni donner à voir quoique ce soit, mais dont la communauté fragile rend possible un autre accès au monde. » Jean-Michel Frodon – Les Cahiers du cinéma.
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